Mélenchon : une campagne sans fautes

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Par Pauline Graulle Médiapart

Grâce à sa capacité d’adaptation aux nombreux imprévus qui ont jalonné ses cinq années dans l’opposition, le candidat de l’Union populaire a réussi à s’imposer comme le seul à gauche apte à rassembler. Récit.

La phrase lui est sortie de la bouche à l’occasion d’une discussion avec quelques journalistes sur la plage du Prado à Marseille (Bouches-du-Rhône), 12 jours avant le premier tour : « Et moi, vous m’auriez vu revenir des catacombes ? » Puis Jean-Luc Mélenchon, accoudé sur une balustrade, dos à la mer, a eu un petit sourire de revanche. Et on a imaginé que, derrière ses lunettes, repassait en un éclair le film de ce quinquennat qui s’achèvera dans quelques heures.

Cinq années éreintantes, durant lesquelles le chef de file de La France insoumise (LFI) n’a eu de cesse de ressasser que « rien ne [lui] aura été épargné », comme s’il n’avait eu aucune prise sur les événements. De sa défaite aux airs de victoire de 2017 aux occasions manquées de réorganisation de la gauche, de ses coups d’éclat à l’Assemblée nationale à ses claques électorales, de ses démêlés judiciaires à cette inespérée « remontada » qui le place, pour sa troisième campagne présidentielle, à nouveau comme le « vote utile » à gauche, Mélenchon aura vécu une odyssée qui lui ressemble, faite d’excès et de paradoxes.

En fin politique, cet homme de méthode, qui commence toutes ses réunions par une analyse du « timing », a réussi à s’adapter d’une manière peu ordinaire à toutes les péripéties. Il a absorbé les chocs et s’est adapté aux aléas. Quitte à imposer d’importants revirements tactiques et politiques qui ont décontenancé, jusqu’à la rupture, certains de ses plus proches.

À la tête d’une organisation à sa main et d’une équipe dévouée, l’ancien trotskiste, pleinement conscient des multiples crises que traverse la France, s’est débarrassé des exigences de la démocratie interne qui auraient pu entraver son chemin. Et n’a eu de cesse de manœuvrer en fonction des vents, parfois contraires, qui le portent aujourd’hui aux rives du second tour.

2017 : un exploit et une occasion manquée

Il est plus de 20 heures, au Belushi’s, ce 23 avril 2017. Mais dans l’atmosphère électrique de ce bar de nuit parisien, proche de la gare du Nord, où les militants se sont rassemblés pour ce soir du premier tour, les cadres de LFI en sont persuadés : le dépouillement des votes dans les grandes villes peut encore changer la donne.

Deux heures plus tard, derrière son pupitre, Mélenchon, ému et amer, acte sa défaite devant les caméras entassées dans la salle de presse. Certes, avec ses 19,6 %, il a atteint l’acmé de sa vie politique et réussi le fameux « sorpasso » du PS, tombé à 6 % des suffrages. Mais alors qu’il a désormais les cartes en main pour reconstruire le jeu politique, il refuse d’ouvrir les bras. Renonçant à renouer avec l’histoire de l’union de la gauche, il compte sur lui seul et ses Insoumis.

La suite est à l’avenant. Quelques jours plus tard, dans un entre-deux-tours où s’affrontent Emmanuel Macron et Marine Le Pen, le chef de file de LFI, prenant une nouvelle fois la gauche à revers, brise un tabou : « Ce que je vais voter, je ne vais pas le dire. » Une consultation en ligne auprès de la base insoumise est lancée. Quoique contrastés, les résultats confirment le refus de se soumettre au « front républicain ».

L’affaire relève avant tout d’un calcul politique. Mélenchon entend ainsi conserver l’agglomérat composite de ses électeurs, et joue le coup d’après : par-dessus tout, il ne veut pas laisser à l’extrême droite le monopole de l’opposition à Emmanuel Macron durant le quinquennat.

Au mois de juin 2017, les élections législatives sont pourtant un succès électoral en demi-teinte. D’abord parce qu’elles sont le théâtre d’une guerre fratricide entre Insoumis et communistes, qui se présentent les uns contre les autres dans presque toutes les circonscriptions, dont celles de la « banlieue rouge ». Le divorce entre les deux anciens alliés du Front de gauche sera acté, un an plus tard, au congrès du PCF.

Surtout, si Mélenchon a fait miroiter la possibilité d’imposer une « cohabitation » au nouveau chef de l’État, LFI perd huit points entre la présidentielle et les législatives, dégringolant à 11 % des suffrages exprimés. Mais, même de justesse, l’essentiel est atteint : le mouvement peut créer un groupe autonome de 17 députés, tous primo-élus à cette fonction.

C’est moins qu’espéré, mais le groupe, qui rassemble des profils variés (Mathilde Panot, Adrien Quatennens et Ugo Bernalicis ont alors moins de 30 ans, Caroline Fiat est aide-soignante, François Ruffin vient de réaliser son documentaire Merci patron !), devient un petit commando habilement animé par son président, lui-même élu triomphalement à Marseille. « J’ai sorti notre courant du néant : 7 millions de voix, un groupe parlementaire… Je n’ai plus qu’à fortifier la construction du mouvement. Il y a des chefs partout. La jeune génération est là : c’est fini, j’ai fait mon travail », confie-t-il à l’époque dans le livre Mélenchon, à la conquête du peuple (Robert Laffont, 2018).

La législature restera sans doute la réussite la plus éclatante de ces cinq dernières années, tant d’un point de vue esthétique qu’institutionnel. Bien que très minoritaire dans l’hémicycle, le groupe insoumis maîtrise à la perfection la communication sur les réseaux sociaux et accomplit jusqu’au bout, et non sans imagination, la stratégie formulée au moment des élections : un pied dans l’hémicycle, l’autre en dehors.

Si chaque député, ou presque, aura son heure de gloire sur les bancs ou à la tribune, le groupe est le seul à gauche à voter unanimement contre la loi Séparatisme. Il ferraille contre loi Asile et immigration ou la loi Sécurité globale. Et se bat, amendement après amendement, pour améliorer une loi Climat vidée de sa substance.

Quelques victoires sont même arrachées, comme lorsqu’en janvier 2022, Clémentine Autain parvient à faire adopter, contre l’avis du gouvernement, mais à l’unanimité du Palais-Bourbon, sa proposition de résolution visant à inscrire l’endométriose sur la liste des affections longue durée. 

2018 : l’année noire

L’hiver a été marqué par la mise en place des ordonnances Macron, contre lesquelles l’Insoumis a appelé, en vain, les Français à « déferler à un million » sur les Champs-Élysées. Mais en ce début 2018, Jean-Luc Mélenchon s’attelle à une autre tâche : reconstruire ses relations avec les corps intermédiaires, syndicats et partis, qu’il a mis à distance durant sa campagne « populiste » de 2017.

Si le héraut de l’insoumission veut « organiser la jonction des efforts entre le mouvement social, associatif et les forces politiques de la résistance au coup d’État social », son entreprise ne manque pas d’ambivalences. Lors de la « Fête à Macron », l’ancien lambertiste mène, du haut de son bus à impériale, une OPA politique sur le défilé de François Ruffin, qui pique une grosse colère. Deux semaines plus tard, lors la « marée populaire », la CGT manifeste, pour la première fois, à l’appel d’organisations politiques (dont LFI). Jean-Luc Mélenchon est aux anges et annonce, avant la centrale elle-même, la présence de Philippe Martinez dans la rue.

Côté politique aussi, un tournant se prépare. L’épisode reste méconnu : à l’été 2018, Mélenchon est sur le point de renouer avec la partie « frondeuse » du Parti socialiste (PS). Au sein de LFI, où l’on pourrait voir d’un mauvais œil ces retrouvailles, personne n’a été prévenu, mais Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, qui préparent leur départ du PS pour rejoindre le mouvement mélenchoniste, comptent emmener dans leur escarcelle des cadres et premiers fédéraux des Bouches-du-Rhône, de la Loire ou de la Nièvre.

Le 9 septembre 2018, à Marseille, lors de l’université d’été de l’aile gauche du PS, Mélenchon, tout à son objectif de reconstruire son édifice, oublie ses rancœurs et ses saillies contre son ancien parti (« seul zoo où les animaux se gardent entre eux », disait-il). Il prononce, dans une modeste salle du parc Chanot, un discours mémorable : s’adressant à ses « vieux amis » socialistes, il leur confie son bonheur « que finisse cette longue solitude […] d’avoir été séparé de [sa] famille » et tente, « le cœur plein d’enthousiasme », de les convaincre de le rejoindre.

Mettant discrètement sous le boisseau sa proposition de « plan B » (impliquant une possible sortie de l’Union européenne) qui effraie les sociaux-démocrates, il promet aussi que son programme « L’Avenir en commun » sera « remis en débat en 2021 […] avec tous ceux qui voudront ».

Mais l’affaire des perquisitions, un mois plus tard, fait s’écrouler définitivement le château de cartes. « C’est sûr que son attitude a braqué toute une partie des gens qui avaient un rapport institutionnel à l’État », regrette, encore aujourd’hui, Marie-Noëlle Lienemann.

Le mardi 16 octobre, à 7 heures du matin, dans le cadre d’une enquête préliminaire sur deux affaires distinctes (celle des assistants parlementaires et celle des comptes de campagne), une quinzaine de perquisitions simultanées ont lieu, commanditées par le parquet de Paris.

Au premier étage du QG de la rue de Dunkerque, Jean-Luc Mélenchon tente d’accéder aux locaux perquisitionnés. Très agité, il prend vertement à partie les policiers et le procureur : « La République, c’est moi ! », lui crie-t-il au visage, après avoir revendiqué son « immunité parlementaire » et appelé ses camarades à « enfoncer la porte ». Le soir, les images de bousculades filmées par « Quotidien » tournent en boucle.

Ce jour-là, « j’ai vu la mort en politique », raconte un élu présent. S’ensuivra une semaine de colère noire où Mélenchon, profondément déstabilisé, sort de ses gonds. À sa base militante, l’Insoumis enjoint de « pourrir » les journalistes de France Info, qu’il qualifie de « menteurs » et de « tricheurs », après qu’ils ont révélé le détail des prestations facturées par l’agence de communication Mediascop au mouvement – Mélenchon a été condamné pour « injure publique » et « diffamation » pour ses propos à l’égard de Radio France en janvier 2022.

Pour les Insoumis, l’ampleur des perquisitions ne laisse aucun doute : le pouvoir est à la manœuvre. « À ce moment-là, beaucoup de monde, chez les macronistes et les Verts, pensait que Mélenchon allait faire le trou, notamment parce qu’il allait décrocher une partie du PS », témoigne un ancien proche qui juge que « la coïncidence avec les perquisitions reste troublante ».

Pour les militants très intégrés, le traumatisme est un mythe fondateur. Pour les sympathisants plus éloignés, en revanche, la réaction excessive de Mélenchon – qui plaide son « côté méditerranéen » sans pour autant faire amende honorable – de même que sa propension à parler de « persécution politique » résonneront pour longtemps comme une faute impardonnable.

Heureusement, quelques semaines plus tard, les « gilets jaunes » débarquent, qui commencent d’investir les ronds-points de France. Bien que ce mouvement social spontané semble prendre de court le théoricien de la « révolution citoyenne », la révolte apparaît comme une divine surprise pour l’Insoumis, qui la soutient contre l’avis d’une partie de ses troupes.

Le 9 décembre, à Bordeaux, lors d’une convention de LFI pour présenter les listes aux élections européennes qui auront lieu six mois plus tard, Jean-Luc Mélenchon tente de faire sien le mouvement dans lequel il voit la « révolution citoyenne telle [que] décrite dans [son ouvrage] L’Ère du peuple » et qu’il analyse comme un soulèvement visant à la « libération de l’ordolibéralisme ».

2019 : coup de massue européen et crise interne

En ce début d’année, LFI traverse une zone de turbulences majeure. La stratégie imaginée des mois plus tôt pour les européennes – s’adresser à un électorat de gauche traditionnelle, celui qui vote habituellement à ce scrutin à fort taux d’abstention – est venue se fracasser sur l’émergence inattendue des gilets jaunes, qui poussent au contraire à revenir à une ligne populiste.

Mélenchon se fait Janus. D’un côté, il s’emploie à épouser la colère éruptive des gilets jaunes, tresse des lauriers à l’une de ses figures controversées, Éric Drouet, et se remet à taper sur cette « petite gôche » – en particulier les Verts et les socialistes qui se méfient du mouvement – qui ne comprend rien à l’antagonisme entre « le peuple et l’oligarchie ». Mais il lance en parallèle, fin avril, dans Libération, un appel à regrouper la gauche, partisane ou non, dans une « fédération populaire ». Un énième revirement tactique que les députés insoumis découvrent dans la presse.

L’hésitation stratégique se solde par une raclée électorale : alors que, quelques heures avant le scrutin, Mélenchon croit encore que la liste atteindra 18 %, celle-ci rassemble 6,3 % des suffrages exprimés, au même niveau qu’un PS moribond, et loin derrière les écologistes (13,5 %). Même si LFI envoie six des siens au Parlement européen, cette première élection post-présidentielle de 2017, censée définir « le centre de gravité pour la suite contre le macronisme », selon l’expression de Mélenchon, est un raté.

Instantanément, les critiques sur la ligne au sein d’un mouvement désormais fracturé sont ravivées. La frange unioniste met l’échec des européennes sur le compte de la stratégie populiste, la frange populiste sur la nouvelle ligne de gauche plus classique.

Là-dessus s’ajoute une grave crise interne qui, si elle couvait depuis les législatives de 2017, explose après le scrutin. Plusieurs figures de LFI sont déjà parties au compte-gouttes, dénonçant plus ou moins publiquement le manque de démocratie à l’intérieur d’un mouvement où Mélenchon décide de tout. Charlotte Girard, figure de proue de la formation, qui a d’ailleurs refusé de prendre la tête de la liste aux européennes, annonce son départ en plein week-end de Pentecôte. Le mouvement est au bord du gouffre.

Quinze jours plus tard, à Vincennes (Val-de-Marne), LFI essaie de se relancer. Mais l’amertume a gagné Mélenchon, de plus en plus contesté et personnellement fragilisé. À la tribune, il esquisse un mea culpa tout en s’en prenant frontalement à cette « gauche mondaine » tentée par « l’autoflagellation ». À ceux qui lui reprochent l’absence de démocratie, il les accuse de se complaire dans « les délices des batailles pour les virgules, des couteaux tirés dans les couloirs ». Il met en scène une pseudo-passation de pouvoir et nomme, sans avoir consulté grand monde, le député Adrien Quatennens comme coordinateur du mouvement.

Pendant que se tiennent, en août, à Toulouse (Haute-Garonne), des universités d’été houleuses, Mélenchon prend du champ en Amérique du Sud. Il y écrit un livre, Et ainsi de suite (Plon, 2019), pour raconter au grand public tout le mal qu’il pense de son « procès politique ».

Car une nouvelle péripétie attend l’Insoumis : le 19 septembre, l’ancien candidat à la présidentielle et cinq de ses proches se pressent à la barre du tribunal de Bobigny. Les prévenus risquent des amendes, de l’inéligibilité, voire de la prison pour faits de « rébellion » lors des perquisitions du 16 octobre 2018.

Or la véhémente stratégie de défense médiatique du leader de LFI l’isole encore un peu plus. Persuadé d’être victime d’un complot judiciaro-politico-médiatique, le député de Marseille hurle au « meurtre politique », dénonce la « caste » des juges et accuse la « milice du pouvoir », s’attirant les foudres du Syndicat de la magistrature (SM).

Il porte aussi dans le débat public le concept du « lawfare », qu’il définit comme « l’usage de la justice contre les opposants politiques ». Et fait signer une pétition (en réalité rédigée par son entourage), où il apparaît, au même titre que les opposants politiques brésiliens, égyptiens ou cambodgiens, comme persécuté par la justice française. L’affaire lui vaut des retours pour le moins circonspects de son propre camp politique qu’il imaginait pourtant venir endosser sa cause.

En décembre, il écope de trois mois de prison avec sursis et 8 000 euros d’amende pour rébellion et provocation. L’Insoumis se targue alors d’être un « rebelle officiel », à l’image de la ligne de « rupture » qu’il porte.

Là encore, alors que tout le monde le croit « cramé », Mélenchon renaît de ses cendres grâce à des événements qui le dépassent : la colère gronde contre la réforme de la retraite voulue par Macron. Une occasion inespérée pour se remettre en selle. Quand les Verts et le PS manquent de clarté sur le projet de loi, Mélenchon et ses troupes sont de toutes les manifestations. Émerge alors ce qui deviendra l’une des pièces maîtresses de sa campagne de 2022 : le retour à la retraite à 60 ans.

2020 : Mélenchon remonte au front

Le ciel s’était dégagé, il se recouvre aussi vite. Alors que la mobilisation, historique, contre la réforme des retraites a donné un nouveau souffle à une gauche en mal de victoire, l’apparition du Covid-19 est un nouveau coup d’arrêt dans la stratégie de reconquête.

Dans un premier temps, en bon républicain, Mélenchon hésite sur la conduite à tenir – faut-il s’opposer frontalement à Macron qui vient de déclarer « la guerre » au virus ? Au lieu de s’effacer derrière les portes closes d’une France calfeutrée, celui qui a toujours su s’entourer d’une armada de jeunes experts en communication numérique décide au contraire de se faire omniprésent.

Persuadé que c’est « l’épreuve des caractères » qui se joue durant la crise sanitaire, l’Insoumis redouble de travail : dans les médias, sur YouTube et Twitter, mais aussi sur son blog, où il écrit de manière toujours plus frénétique, Mélenchon tient la barre. Sur les bancs du Palais-Bourbon, l’homme de 69 ans continue de croiser le fer alors que le pays se confine. À la mi-avril, il tient un meeting numérique, regardé par 300 000 personnes.

Une nouvelle fois, la crise sanitaire lui offre une occasion qu’il saisit à bras-le-corps : reconstruire sa stature d’homme d’État, abîmée par ses errances passées. Aidé par la base arrière du mouvement, où règne une effervescence studieuse, Jean-Luc Mélenchon multiplie les contre-propositions à la politique sanitaire du gouvernement et remet, en écho avec un Arnaud Montebourg qui alors tente un retour, le rôle de l’État au centre des débats. Tout en gardant un œil attentif sur les discussions qui commencent entre les unitaires des autres partis de gauche.

Seule ombre au tableau : les élections municipales. Les Insoumis les savent perdues d’avance mais ne s’attendent pas à un tel triomphe (qui s’avèrera en trompe-l’oeil) des écologistes. Surtout, la victoire du Printemps marseillais, avec qui Mélenchon a entretenu des relations pour le moins compliquées, entérine paradoxalement sa marginalisation dans la ville où il est élu député.

L’automne sonne le retour des règlements de comptes. Après l’assassinat terroriste de Samuel Paty, Mélenchon, qui vient de mettre en avant son nouveau concept de « créolisation », fait face à un tir de barrage dans une ambiance quasi maccarthyste. En cause : son « virage » opéré en 2018 sur les questions de laïcité et d’immigration. Certains lui reprochent notamment sa participation à la manifestation contre l’islamophobie, un an plus tôt, dans laquelle ont pourtant aussi défilé le patron de la CGT et bon nombre d’écologistes et de communistes de premier plan.

Jamais vaincu, Mélenchon annonce sa candidature à la présidentielle le 8 novembre, 40 ans jour pour jour après celle de son mentor, François Mitterrand, qui accéda à l’Élysée six mois plus tard. Comme à l’accoutumée, il change de cadre organisationnel. Après le Parti de gauche et le Mouvement pour la VIRépublique, c’est au tour de La France insoumise d’être remaniée. Désormais, son véhicule sera l’Union populaire.

2021 : le retour en campagne

Un jour de janvier 2021, sur un plateau de France 5, Mélenchon s’anime devant des journalistes interloqués : « En aucun cas » il ne se fera vacciner au « machin de Pfizer ». La France, en pleine vague de Covid, s’apprête à généraliser les vaccins à ARN messager, mais l’Insoumis ne cache pas sa méfiance. Au point qu’en juillet, le candidat, désormais en campagne, se sent obligé de s’exprimer solennellement : « Pour que les choses soient claires, à vous qui m’écoutez, tout le groupe des parlementaires insoumis est vacciné, ou en cours de vaccination. Je le suis moi-même », rétorque-t-il à ceux qui, y compris en interne, lui reprochent de brosser dans le sens du poil les « antivax ».

Une mise au point qui ne l’empêchera pas de cultiver un certain flou : tandis que le pays se fissure de toutes parts entre « antivax » et « provax », Mélenchon se garde bien d’appeler explicitement à la vaccination. Au début de l’été, il enfourche, avec le même appétit qu’au moment des gilets jaunes – et une fois encore sans suivre la prudence dont témoigne une partie de son camp –, le mouvement des antipasse sanitaire, appelant les Français à s’opposer dans la rue à cette « loi liberticide » et exhortant « l’extrême droite et les antisémites [à] fiche[r] le camp de [leurs] manifs ! ».

Au printemps, les élections régionales et départementales, où LFI est passée sous les radars, ont ouvert une période d’incertitude quant au leadership à gauche. Le PS se croit redevenu central et les Verts, malgré leur progression en voix, n’ont pas réitéré l’exploit des municipales. Ce n’est pas pour déplaire aux Insoumis, persuadés que ce qu’ils nomment la « gauche d’accompagnement » finira par s’écrouler. Et que les électeurs, contraints par les circonstances, reviendront dans leur giron.

À l’automne, le lancement chaotique de la campagne d’Anne Hidalgo et celui de Yannick Jadot, affaibli après une primaire qui n’a pas eu la force propulsive espérée, semblent leur donnent raison. La voie est ouverte à l’Union populaire, qui continue de tracer, méthodiquement, son sillon, présentant avant tout le monde un programme robuste (réarrangé à la marge depuis 2017).

Mélenchon tente de faire oublier ses différentes sorties de route, comme celle, que d’aucuns ont jugée « complotiste », sur le risque terroriste avant les élections présidentielles. Mais aussi les images des perquisitions de 2018. Désireux de faire de l’Union populaire un pôle de rassemblement « par le bas », il met en place, avec habileté, le parlement de l’Union populaire, qui lui permet d’agréger et de visibiliser des personnalités issues de toute la gauche intellectuelle, partisane ou associative.

2022 : du « vote utile » au « vote efficace »

À trois mois du premier tour, il ne reste plus de concurrent sérieux à gauche pour Mélenchon, qui réalise une campagne sans fautes. Le PS s’est effondré dans les sondages, les écologistes n’ont pas réussi à percer, Arnaud Montebourg a jeté l’éponge, Christiane Taubira échouera à collecter ses parrainages.

Seul le communiste Fabien Roussel, qui se plie généreusement aux codes de la politique spectacle, fait, un temps, un peu d’ombre à l’Insoumis, qui reste, cette fois, imperturbable. « Ça fait 19 mois que je suis en campagne, 19 mois que je me suis engueulé avec personne à gauche, se félicitait Mélenchon, lors de son dernier meeting avant le premier tour, à Lille, mardi 5 avril. Ça me cuit la bouche, mais je ne le ferai pas. Pour pas désespérer, je suis capable d’avoir trois bons mots à la minute s’il le faut. »

Le 24 février, la guerre en Ukraine est déclenchée. Elle fait remonter à la surface médiatique les mansuétudes passées de Jean-Luc Mélenchon envers la Russie et donne du grain à moudre à ses contempteurs. Inflexible sur la sortie de l’Otan ou son refus de livrer des armes à l’Ukraine, le candidat arrondit toutefois les angles, se montre plus sévère avec Poutine et finit par qualifier son régime de « dictature », lors de son discours sur la place de la République, le 20 mars. Mais la dynamique est enrayée.

Malgré tout, l’intense mobilisation des cadres et élus insoumis qui mènent toutes les semaines 30 à 40 réunions publiques – et 90 la dernière semaine – porte ses fruits. Même chez les moins convaincus, l’argument du vote « efficace » l’emporte. En quelques semaines, la candidature Mélenchon est soutenue par plusieurs collectifs : tribunes de militants des quartiers populaires, d’économistes, d’intellectuels, mais aussi d’artistes et d’écrivains…

Ces derniers jours ont aussi été marqués par le ralliement de figures ex-socialistes ou proches des écologistes – et même d’un ex-député La République en marche (LREM), Sébastien Nadot. Vendredi, un ultime coup de pouce a été donné par Christiane Taubira, qui a annoncé qu’elle donnerait sa voix à Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Autant de nouveaux soutiens bienvenus. Même si, sous le soleil de la plage du Prado le 27 mars, Mélenchon a prévenu : « La pérennité de cette force [l’Union populaire – ndlr], cette fois, se sera affirmée toute seule. » Avant de  promettre que ce 10 avril sera un dimanche de « surprise ».

Pauline Graulle

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